Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’administration,
Cher(e)s collègues et vous toutes et tous qui êtes présents aujourd’hui, dans cette salle ou en ligne,
C’est un honneur que je ne saurai prendre à la légère de pouvoir une nouvelle fois porter la voix de l’ensemble de mes collègues, en tant que présidente d’un Syndicat qui fédère plus de 2/3 du personnel de l’OIT. Ce rendez-vous que vous nous donnez 2 fois par an est une occasion unique pour partager nos sentiments et perspectives sur les sujets que vous avez à l’ordre du jour pour ce Conseil.
Messieurs, mesdames les Membres du Conseil d’administration, en préparant ce discours, j’ai longtemps hésité sur les sentiments principaux que je souhaitais avant tout vous partager aujourd’hui au nom de mes collègues.
Confusion, impuissance, indécision, lassitude, déception ; mais aussi, détermination, enthousiasme, espoir, inspiration.
Et oui, finalement, trop confuse, j’ai décidé de vous livrer l’ensemble de ces sentiments – avec ses incohérences et cette richesse à la fois. Après tout, l’humain est complexe et il semble que parfois ne pas faire de choix soit la meilleure option pour que toutes les voies restent ouvertes et que tout soit encore possible.
Impuissance en tant que fonctionnaires internationaux, porteurs de la conviction que justice sociale et paix sont intrinsèquement liées, mais que la paix recule nous laissant impuissants à promouvoir le respect des normes internationales et des droits humains, fondements sur lesquels notre organisation a été créée. Alors la tentation est bien réelle de se dire « à quoi bon »… L’OIT n’est certes pas une agence humanitaire et nous nous sentons bien impuissants tandis que nos collègues des autres agences des Nations unies ou autres organisations non gouvernementales internationales gèrent l’urgence, allant même jusqu’à y perdre trop de vies. Je souhaiterai appeler à un moment de silence en hommage à l’ensemble des collègues des Nations Unions qui ont perdu la vie dans les conflits depuis ces derniers mois.
Nos collègues vivent néanmoins la perte de membres de leurs familles, amis, maisons et destruction de leur quotidien. Le Syndicat ne saurait assez remercier l’Administration pour son devoir de diligence auprès de l’ensemble du personnel, et je tiens également à remercier le Directeur général pour son écoute afin de trouver des solutions pertinentes et nécessaires pour aider l’ensemble du personnel. Alors effectivement nous sommes démunis face à cette destruction, mais il est indispensable de rester présents pour préserver les droits humains au travail, et pouvoir répondre aux demandes de nos mandants. Que ce soit à Moscou, à Kyiv, au Soudan, Myanmar, à Jérusalem, à Beirut, à Haiti – et la liste serait plus longue, le maintien de nos bureaux est nécessaire et je vous remercie de votre appui et reconnaissance envers les collègues qui « tiennent bon » et préparent à servir la justice sociale.
Messieurs, mesdames les membres du Conseil d’Administration, nous sommes également bien souvent indécis…
Indécision sur l’attitude à avoir par rapport aux nombreux documents soumis à l’ordre du jour de ce conseil et de leurs implications potentielles pour le personnel de l’OIT. Comme beaucoup d’entre vous, j’ai découvert la plupart de ces documents au fur et à mesure de leur publication sur le site de ce Conseil, surprise qu’il n’est pas été jugé pour le moins nécessaire d’informer le Syndicat, si ce n’est le consulter ou négocier les points qui ont certainement un impact sur le personnel, comme le veut notre Accord de Reconnaissance et de procédure. Il en va ainsi des opérations de l’OIT dans différents pays – y compris le Soutien du BIT à la réponse d’urgence à la crise au Liban. J’espère le nombre de sujets couverts ne feront pas perdre de vue l’essentiel dans les décisions à prendre. En lisant le document PFA/3 « Stratégie de l’OIT en matière de connaissances et d’innovation à l’échelle de l’Organisation : Stratégie et plan de mise en œuvre actualisés »sur l’innovation, que vous venez de discuter j’ai pu avec intérêt souligner l’affirmation – je cite – que « l’innovation est stimulée par la collaboration et le réseautage, qui favorisent la créativité et le brassage d’idées dans le cadre d’espaces d’échange et de communautés de partage », tout en apprenant que nombre de consultations ont avant tout fait ressortir (je continue la citation) « le fort intérêt du personnel pour le développement de compétences techniques liées à l’intelligence artificielle (IA) et à l’analyse de données » et qu’enfin « Intégrer le changement culturel dans le cadre du renforcement des capacités permet non seulement de faire en sorte que le personnel possède les compétences voulues, mais aussi de l’encourager à mener une réflexion critique et à expérimenter des solutions novatrices ». Je reste indécise sur la façon dont ces différentes perspectives vont se combiner et se concrétiser pour le personnel et sur le fonctionnement de ce Comité technique consultatif pour l’innovation dont j’ai appris la création. Je reste dubitative sur le constat que le personnel aurait besoin d’être encouragé pour avoir plus de réflexion critique… D’autre part, pour collaborer, réseauter, il faut du temps, de l’énergie, de l’« espace mental », tout comme il en faut pour apprendre de nouvelles compétences et pouvoir maitriser de nouveaux défis et effectivement ne pas se laisser dominer par les automatismes et devenir des machines, certes très efficaces mais sans cette part d’humain qui est essentielle. Et pour permettre à l’humain de s’épanouir, il faut aussi se sentir valorisé, respecté et sécurisé dans son parcours professionnel.
Et pour cela, il faut bien de l’énergie… Mais cette énergie semble nous manquer et laisser la place à une lassitude devant les exigences professionnelles qui ne font qu’augmenter, la charge de travail qui semble ne jamais s’amoindrir. Devant la quantité de travail à abattre, il est épuisant de préserver aussi la qualité. Et pourtant.. le personnel de l’OIT a enchainé cette année l’appui pour les réunions officielles avec des ordres du jour de plus en plus chargés, les heures de travail nocturne – des sommets ont été atteints lors de la CIT cette année -, embrayant avec un cycle de plus de préparation du programme et budget, des priorités supplémentaires qui doivent être absorbées en plus de celles précédentes qui restent toujours prioritaires. Bien sûr, les moyens ne suivent pas l’augmentation de la demande, qui elle est bien exponentielle aux 4 coins de la planète, montrant bien finalement que le personnel de l’OIT est toujours au rendez-vous pour promouvoir la justice sociale et le travail décent, et que vous continuez à nous faire confiance. A quoi bon cependant réitérer ce qui semble être une constante des discours des présidentes et présidents du Syndicat du personnel, appelant à ce que les moyens humains et financiers soient au rendez-vous pour que le personnel qui vous sert puisse le faire dans des conditions dignes et respectueuses, et avec les structures institutionnelles appropriées, d’autant plus que plusieurs bureaux de l’OIT s’ouvrent de par le monde.
Mesdames, messieurs les membres du Conseil d’administration, Monsieur le Directeur général – j’ai également de la déception. Déception que vous n’ayez pas plus de sujets de décision à l’ordre du jour de la section du programme, du budget et de l’administration concernant des changements nécessaires pour une amélioration des conditions et de l’environnement de travail. Pourtant, avec nos partenaires de dialogue, que je tiens à remercier, nous n’avons pas « chômé » – comme le dit l’expression, même si pour un fonctionnaire du BIT cela semble un paradoxe puisque nous n’avons pas de mécanisme d’assurance chômage – du moins pas encore. Nous aurions certainement espéré pouvoir avancer plus vite pour renégocier par exemple notre accord collectif sur la violence et le harcèlement au travail ou sur de nouvelles politiques sur la santé sécurité au travail au sein du BIT. Le document qui vous est présenté pour information concernant le cadre d’évaluation des performances PFA/INF/5 permet certes de clarifier certaines procédures dans les chaines d’évaluation et d’approbation. Ces changements ne sont cependant pas porteurs de modifications majeures dans le cadre existant. Le Syndicat est toujours en attente d’une refonte des procédures du Comité des rapports (Reports board) pour améliorer le processus de reconnaissance du travail de nos collègues.. De même, le Rapport biennal sur la mise en œuvre de la Politique et stratégie de l’OIT pour l’inclusion des personnes handicapées (2020-2023), pour lequel le Syndicat a été également consulté, fait certes état de progrès mais les travaux sont en encore en chantier sur la finalisation d’une nouvelle politique.
Monsieur le Directeur général, vous nous avez exprimé récemment votre impatience sur la finalisation des négociations en cours concernant l’harmonisation des conditions de travail nonobstant les sources de financement des contrats et une plus grande mobilité.
Je peux vous l’assurer, nous sommes déterminés à finaliser ces négociations et trouver des solutions aux inégalités croissantes entre membres du personnel. Et cette détermination, je peux sans crainte affirmer qu’elle est partagée avec l’équipe de négociation de l’Administration, dont je tiens à remercier tous les membres, en particulier mes collègues du département des ressources humaines, des finances et de Program. Bien sûr, il ne serait pas possible que de telles réformes remettent en cause les principes de l’indépendance de la fonction internationale, de la non-discrimination sous toutes ses formes. Il est également inenvisageable que dans ces négociations, nous ne soyons pas animés d’une volonté d’être exemplaire pour le monde du travail, et de faire vivre à l’interne ce que nous prêchons dans la lutte contre la précarité, en faveur de la sécurité de l’emploi, élément indispensable pour une meilleure productivité et des performances exemplaires. L’OIT doit viser l’excellence des conditions de travail, doit pouvoir trouver des solutions créatives et innovantes pour assurer des conditions de travail exemplaires. Alors oui, nous sommes déterminés à garder le cap de négociations sur la base d’intérêts partagés, de se donner les moyens d’avoir des résultats à la hauteur des attentes et ambitions et de rester fidèles à nos principes et nos valeurs.
De telles réformes en interne sont indispensables bien sûr pour pouvoir mettre en œuvre le Plan stratégique et le Programme et Budget que vous avez discuté hier. Ces documents donnent espoir. En effet, l’enthousiasme est bien là en lisant que, je cite « Un effort particulier sera fait pour renforcer le leadership de l’OIT au niveau national, moyennant l’apport de compétences et de ressources appropriées. Pour cela, les capacités du personnel du BIT seront renforcées (pour lui permettre de discerner les tendances émergentes, d’anticiper les possibles transformations et d’y répondre de manière proactive) », et d’autre part le fait que « La promotion de la diversité, de l’équité et de l’inclusion, ainsi que d’un milieu de travail sain, respectueux et stimulant demeureront au cœur de la politique des ressources humaines, et prendront notamment la forme d’efforts d’élaboration de politiques, d’actions de communication et d’initiatives visant à faire évoluer les comportements qui seront alignés sur les stratégies et les engagements de l’OIT et du système des Nations unies sur la diversité géographique, l’égalité des genres, l’inclusion du handicap, la santé mentale et le bien-être et les mesures à prendre pour prévenir et combattre l’exploitation et les atteintes sexuelles ainsi que toutes formes de violence et de harcèlement sur le lieu de travail. » Le Syndicat ne peut que se réjouir de ces priorités et appeler de toutes nos forces que les moyens appropriés soient effectivement alloués pour que ces objectifs se traduisent en action concrètes et avec force.
Mesdames, messieurs les membres du Conseil d’administration, lorsque le Comité du Syndicat nouvellement élu a pris son mandat en décembre dernier, nous nous sommes réunis lors d’une retraite sur les terres de Voltaire pour fixer nos objectifs, et avons entre autre été inspirés de cette citation de l’Homme des Lumières : “J’ai fait un peu de bien, c’est mon meilleur ouvrage.” Permettez-moi de terminer cette allocution en vous appelant à être force d’inspiration, pour nous, membres du personnel à votre service. Les sujets qui sont au cœur de vos débats, que ce soit pour les processus normatifs en cours entre autres sur l’économie de soin, les risques biologiques, l’économie de plateforme, la formalisation ou l’intelligence artificielle ou pour définir un nouveau contrat social en faveur de la justice sociale et du travail décent tel que défini dans le Plan stratégique, sont des thèmes inspirants qui montrent la modernité de notre organisation centenaire. Alors oui, inspirez-nous pour qu’ensemble nous œuvrions « à faire un peu de bien ».
Je vous remercie pour votre attention
Séverine Deboos
Présidente, Comité du Syndicat du personnel