Discours de la présidente du Syndicat du personnel, Conseil d’administration, PFA (5 mars 2024)

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’administration,
Chers collègues et vous toutes et tous qui êtes présents aujourd’hui, dans cette salle ou en ligne,

L’adage dit « jamais 2 sans 3 », me voici donc une nouvelle fois privilégiée de m’adresser à vous ; toujours avec cette appréhension certainement nécessaire lorsqu’il en va de parler au nom de l’ensemble de mes collègues, qui sont toujours plus nombreux à témoigner la confiance et la nécessité d’avoir une organisation qui les représente, puisque le Syndicat du personnel de l’OIT a aujourd’hui plus de 2100 membres. Comme vous le savez bien sûr mieux que moi, vous, leaders des organisations représentatives du monde du travail : les adhésions peuvent soit indiquer que nos membres se préparent en vue de devoir défendre leurs droits, soit qu’ils souhaitent reconnaitre que nous avons répondu à leurs attentes, par les progrès accomplis.

Cette ambivalence est finalement bien réelle pour nous aujourd’hui dans l’exercice de nos fonctions au service de la justice sociale, et à bien des égards. En effet, comment continuer à rester fidèle à notre engagement de neutralité et à notre devoir de silence face aux bouleversements sur la scène internationale qui nous révoltent, en particulier lorsque le statut de fonctionnaire des Nations unis ne veut finalement rien dire face aux bombes qui ont tué dernièrement plus de 150 de nos collègues dans l’exercice de leur fonction ? Comment trouver la force intérieure de rester résilient et continuer pendant des années à travailler lorsqu’un régime militaire reste sourd aux injonctions de l’organisation que nous servons et finalement continue à bafouer les droits humains que nous défendons ? Comment rester fidèle à notre conviction profonde du pouvoir de la justice sociale lorsque les conflits continuent de surgir ou s’enlisent dans nombre de pays et nous amènent donc à nous demander si finalement, nous n’avons rien appris, au moins depuis ces 100 dernières années lorsque l’OIT a été créée. Vous examinerez la semaine prochaine dans le cadre de la Commission institutionnelle nombre de rapports établis concernant le suivi de la situation de différents pays qui témoignent bien du désarroi dans lequel nous pouvons nous trouver, même si des mesures d’accompagnement sont prises pour le personnel dans les pays, comme celles par exemple mentionnées dans le document GB.350/INS/13 concernant l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine du point de vue du mandat de l’Organisation internationale du Travail. Il apparait d’autant plus important de pouvoir nous reposer sur le fait que, pour reprendre les termes de notre Directeur général dans sa Préface du Rapport d’ Exécution du programme de l’OIT pour 2022-23 , PFA/1 « À l’avenir, l’OIT devra redoubler d’efforts pour placer sa mission de justice sociale au centre de toutes les politiques nationales et internationales » et soulignant d’autre part que « la nécessité manifeste et urgente de faire progresser la justice sociale ne peut être satisfaite que par une solidarité mondiale accrue, des politiques plus cohérentes et une coopération et des partenariats renforcés avec d’autres acteurs et institutions ».

La cohérence est certes très difficile à saisir, dans un contexte organisationnel qui apparait à la fois segmenté et flou. Segmenté puisque le nombre de règles qui s’imposent à nous semblent toujours plus nombreuses et dichotomiques : règles de gestion – humaines et financières différentes en fonction des sources de financement de nos activités tandis que nous sommes de plus en plus appelés à mutualiser nos ressources pour pouvoir avoir plus d’impact. Flou d’autre part puisque les lignes de reporting sont encore indéfinies pour nombre de départements ou unités en phase de restructuration à différents niveaux, ou puisque les recrutements ne suivent pas systématiquement les mêmes processus à grade équivalent. L’exercice en cours d’inventaire des compétences, tel que référencé dans nombre de documents à l’ordre du jour (rapport d’audit interne, rapport de mise en œuvre de la stratégie de l’OIT en matière des ressources humaines) soulève d’ailleurs nombre d’interrogations des collègues, reconnaissant son utilité de principe mais soulevant des questions sur les conséquences qu’il pourrait avoir sur leur emploi.

Quand la complexité augmente, la tendance est effectivement de renforcer le contrôle, multiplier les règles et finalement amener à un repli et une rigidité qui ne laissent plus place à l’imperfection, l’improvisation qui amène souvent à l’innovation – finalement à l’humain. Vous l’avez peut-être remarqué dans cet immeuble : les portes des collègues sont souvent fermées – non pas souvent parce qu’ils travaillent ailleurs, mais parce que les collègues s’enferment sur leurs échéances professionnelles et leur appels visio de par le monde, trouvant de moins en moins de temps pour les interactions sociales sur nos lieux de travail. Nous perdons également le cap de ce que respect sur le lieu de travail veut dire : il n’est ainsi pas anodin que les résultats soient mitigés , tels qu’indiqués dans le Rapport de situation sur la mise en œuvre de la Stratégie de l’OIT en matière de ressources humaines 2022-2025, sous l’objectif d’un Environnement sous le signe du respect et d’une plus grande autonomie, en particulier concernant la « responsabilité des supérieurs hiérarchiques pour promouvoir un environnement de travail sûr, un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée et le bien-être individuel » ; et ceci, alors que tout travailleur devrait pouvoir jouir de son droit fondamental à un lieu de travail sûr et sain. Le nombre de cas concernant des allégations de harcèlement ou de manquements de conduite référés auprès du Chef d’audit interne ou traité par le département des ressources humaines, est d’autant plus inquiétant, tant par le nombre de cas qui finalement étaient dénués de fondements et questionnant donc sur une culture qui amène peut-être trop rapidement à des dénonciations, que par le nombre, toujours trop important, d’allégation finalement fondées de harcèlement. Le Syndicat déplore, tout autant que l’Administration, le nombre de situations amenant à des plaintes de manquements dans les relations professionnelles et de harcèlement, y compris entre collègues.

Cette réalité amène d’autant plus à reconnaitre avec satisfaction l’adoption du plan triennal sur la santé mentale et le bien-être, tel que mentionné dans le même document. Le Syndicat a contribué avec intérêt à l’élaboration de ce plan, appelant avec force la mise en œuvre d’une des premières mesures, l’évaluation des risques. Il convient en effet, avant tout, de pouvoir faire un état des lieux sur la situation et pouvoir analyser les causes qui amènent nombre de collègues à ne plus faire face et les éloignent d’un milieu professionnel qui pourrait au contraire leur donner épanouissement et sens. Les causes de telles situations sont certes multiples et complexes, il revient à l’organisation, en tant qu’employeur, de pouvoir les analyser et y remédier, lorsqu’elles sont liées au travail.
Pour la mise en œuvre de ce plan, tout comme pour permettre à l’organisation de répondre aux besoins de gestion de cette ressource la plus précieuse pour servir la justice sociale, l’humain, il est regrettable de devoir faire preuve de toujours plus de parcimonie, d’économie et de compromis, au risque d’une perte d’efficacité et d’ambition. Dans les mois qui viennent, nous devrons ainsi préparer les propositions pour le prochain Programme et Budget, et il est déjà à prévoir des choix difficiles dans la priorisation des actions à mener, tout en voulant répondre à tous les besoins que vous nous exprimez et notre volonté d’aller toujours plus loin dans la promotion de la justice sociale. Nous souffrons ainsi actuellement du manque de ressources pour nombre de fonctions clefs comme celles de la gestion des ressources humaines, de la prévention et gestion des conflits ainsi que de l’accompagnement nécessaire des collègues. Le risque est que finalement on veuille « tout faire », sans avoir les moyens pour y arriver.
Je souhaite enfin me référer, dans la lignée de la stratégie des ressources humaines, mais aussi le document INS/4 Rapport à mi-parcours sur la mise en œuvre du Plan d’action du BIT pour l’égalité entre femmes et hommes 2022-2025, à la situation actuelle concernant la diversité au sein du Bureau et en particulier l’égalité des genres. Le constat est que, je cite, « Le BIT se rapproche de la parité femmes-hommes : la proportion de femmes occupant des postes de grade P5 et au-dessus est passée de 34 pour cent en 2009 à environ 43 pour cent en 2023, alors que l’objectif est de 40 pour cent » ; ce constat semble en effet encourageant, et est souligné dans plusieurs documents. Les 2 rapports continuent d’ailleurs sur des recommandations identiques, appelant à maintenir les efforts et « veiller à ce que les progrès réalisés dans ce domaine se poursuivent à tous les niveaux ». Effectivement… Ce succès de parité aux échelons supérieurs s’est fait au détriment d’une progression en interne et d’une reconnaissance des compétences pour les collègues que je représente, qui bien souvent voient encore moins de perspectives d’évolutions, ou qui se questionnent – pourquoi seule 1 nomination sur 3 a permis un avancement de carrière. N’avons-nous pas les compétences et le mérite de se voir reconnus par notre employeur ? De même, la disparité est encore grande entre catégories d’emploi – il était parlant que lors de la journée des droits de la femme l’année dernière, un des collègues déplorait n’avoir aucune femme collègue dans son équipe, au niveau de la logistique… Je ne peux enfin, sur ce sujet, que déplorer que l’OIT ne souhaite pas regarder un peu plus en interne lorsqu’il est temps de célébrer l’égalité des genres. Le Syndicat n’a pas été invité par l’administration pour les célébrations qui se tiendront cette semaine à l’occasion du 8 mars…
Alors oui, il nous faut de la solidarité et de l’humain.
Mesdames, messieurs les membres du Conseil d’Administration, c’est animés de cette solidarité que nous avançons, avec l’Administration dans notre volonté de répondre à des inégalités croissantes entre membres du personnel, sur la base d’un programme de réformes touchant une harmonisation des conditions de travail et une plus grande mobilité. C’est dans cette optique que le document PFA/9 Amendements au Statut du personnel vous est soumis. Ce document vous propose des amendements au statut du personnel qui sont le résultat de négociations entreprises sur un rythme intense depuis décembre dernier, sur la base d’une liste de mesures qui devraient nous occuper pendant toute cette année. Ces négociations se font dans un esprit constructif, cherchant à dépasser les obstacles éventuels pour comprendre les exigences de chaque partie, puisque finalement, il est clair que notre intérêt commun est de faire en sorte que tout collègue, qui travaille pour l’OIT, ait accès à la même reconnaissance et aux mêmes conditions de travail, nonobstant les sources de financement. Il est également clair pour toutes les parties que le personnel de l’OIT veut pouvoir évoluer dans sa carrière, pouvoir bénéficier d’opportunités de mobilité, qu’elles soient géographiques ou fonctionnelles.
Cet ensemble de mesures devrait permettre de reconnaitre que le service à l’OIT a tout autant de valeur quand on est affecté à un projet de coopération au développement que quand on émarge aux contributions obligatoires au budget de l’organisation. Ces mesures devraient d’autre part permettre de réduire la précarité de nos collègues affectés à des projets, dont les perspectives de moyen ou long terme sont réduites puisque restreintes à la longévité d’un projet précis. Nous vous présenterons, je l’espère, en novembre d’autres mesures qui devront être négociées d’ici là.
Ce sont des avancées qui permettent finalement pour l’OIT de progresser vers une adéquation de sa gestion des ressources humaines avec l’évolution de ses opérations dans son deuxième centenaire : le mandat de l’OIT d’aujourd’hui s’accomplit autant par ses activités de coopération au développement dans le monde entier que par le suivi normatif, les différents aspects étant profondément dépendants et intégrés. Il sera d’ailleurs certainement nécessaire dans le futur d’aller encore plus loin dans l’intégration du cadre des ressources humaines, tout comme cela est fait au niveau programmatique. Le Syndicat a certes encore des batailles à mener… Mais chaque chose en son temps…
Je tiens à remercier le Directeur général pour son appui ; et je souhaite particulièrement remercier mes collègues du département des ressources humaines ainsi que les élus du Syndicat qui se dévouent et donnent leur temps, leur passion pour trouver des solutions et faire vivre à l’interne les principes mêmes de dialogue social et de négociations collectives.
Messieurs, mesdames les membres du Conseil d’administration, vous pouvez en être fiers et j’espère que cela ne fera que renforcer la confiance que vous nous portez.

Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite un bon appétit
Séverine Deboos
Présidente, Comité du Syndicat du personnel