Déclaration de la Présidente du Comité du Syndicat du personnel à la Section du programme, du budget et de l’administration du Conseil d’administration du BIT (326 ème Session – mars 2016)

Madame la Présidente,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Chers collègues ici présents,

J’ai l’honneur et le plaisir de m’adresser à vous aujourd’hui en ma qualité de Présidente du Syndicat du personnel de l’OIT, qui représente 70 pour cent des membres du personnel travaillant au siège et sur le terrain.

Cet exercice que j’accomplis régulièrement devant vous a pour but de vous informer de la position des représentants du personnel vis-à-vis d’un certain nombre de recommandations émanant de l’administration, qui ont des conséquences pour les conditions d’emploi et de travail de l’ensemble du personnel.

Ce procédé suppose en général qu’un dialogue social au sein de l’organisation soit présent, que des discussions, des consultations ou même des négociations aient eu lieu en amont des sessions.

Mais aujourd’hui, en tant que représentante du personnel, j’ai un premier problème: il concerne le document GB.326/PFA/4(&Corr.) sur l’assurance-maladie après la cessation de service.

Premièrement, ce document a fait l’objet d’un débat hier soir avant même que le Syndicat du personnel puisse exposer sa position. Les hasards de l’organisation de l’ordre du jour de la PFA font vraisemblablement bien les choses, surtout lorsqu’on veut museler le personnel.

Deuxièmement, contrairement à ce que j’ai entendu dire hier soir avec une assurance déconcertante et qui a failli me faire tomber de ma chaise, il n’y a pas eu de concertation en bonne et due forme sur ce sujet avec les représentants du personnel. Je peux vous l’affirmer.

Donc, puisque tout a été fait pour la bâillonner, la représentante du personnel n’a pas d’autre choix que de vous faire part aujourd’hui, a posteriori, et c’est regrettable, de sa position sur ce sujet et sur les propositions de décisions que vous avez déjà entérinées. Bel exemple de dialogue social interne au BIT!

Les propositions figurant dans ce document sont cruciales pour la pérennité et l’avenir du système de sécurité sociale du personnel du BIT. Mais certaines d’entre elles vont à l’encontre des principes fondamentaux de la sécurité sociale et encouragent de surcroît à explorer des possibilités de financement totalement inacceptables pour le personnel. Ces possibilités, principalement contenues dans le point b) du paragraphe 39 des décisions, contiennent des éléments de discrimination selon l’âge et la nationalité et renient le principe de solidarité entre générations et entre malades et bien-portants, qui est à la base des systèmes d’assurance sociale. Elles ignorent aussi le caractère de salaire différé des cotisations patronales, vont à l’encontre des accords de siège subordonnant le non–assujettissement des organisations aux régimes nationaux de sécurité sociale à la garantie de dispositions au moins aussi favorables octroyées à leurs personnels. Pour résumer, ces possibilités, soi-disant sans risque, recommandent principalement que le poids de la charge financière soit transféré sur le personnel, en expulsant du système de protection sociale une partie de ses assurés retraités qui coûtent le plus cher et en les jetant tout bonnement en pâture aux assureurs privés affamés. Il est de notoriété publique que les régimes nationaux n’acceptent pas d’assurer des personnes à partir d’un certain âge, qui de surcroît n’ont jamais cotisé.

Pour en finir avec ce document sur lequel je m’attarde alors que son sort est déjà scellé, le Syndicat du personnel a bien noté, bien que cela ne figure pas expressément dans le texte de la décision adoptée, que toute nouvelle décision sur ce sujet devra s’accompagner au minimum de vraies consultations avec le personnel. N’ayant pas entendu de véritable engagement de la part de l’administration à cet égard, j’espère que celle-ci se souviendra des discussions qui ont eu lieu hier. Dans le cas contraire, je me fais fort de les lui rappeler en temps opportun.

Alors, aujourd’hui, le Syndicat du personnel se pose deux questions:

Doit-il continuer à croire aux assurances de son Directeur général selon lesquelles la concertation et la négociation collective constitueront toujours les pierres angulaires du dialogue social interne, alors qu’un document aussi important pour le personnel n’a même pas fait l’objet de consultations?

Doit-il comprendre que les principes fondamentaux, notamment ceux liés à la protection sociale promus par l’Organisation, ne s’appliquent pas à son propre personnel?

Pour mémoire, la fonction publique internationale constitue une catégorie à part des autres fonctions publiques, et les organismes des Nations Unies, en vertu de leur Constitution et de l’article 101 de la Charte des Nations Unies, ont le devoir d’assurer une couverture sociale universelle à leurs fonctionnaires. Cette couverture est à présent mise à mal de tous les côtés. La Caisse d’assurance pour la protection de la santé du personnel du BIT subit de plein fouet les conséquences d’une gestion administrative passée plus qu’erratique et de l’absence de décisions et de mesures de bonne gouvernance, qui auraient pu déjà la conduire plus d’une fois à l’abîme. Comme dit le proverbe, quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage. Et je peux vous garantir qu’en ce moment c’est aussi le personnel qui a la rage. La rage de ne pas bénéficier de services et de prestations à la hauteur de ce qu’il contribue, la rage de recevoir ses remboursements dans des délais à la limite de l’acceptable, la rage, notamment pour les collègues sur le terrain, de ne pas pouvoir être admis à l’hôpital, parce qu’ils n’ont pas les moyens de prouver qu’ils sont assurés, la rage parce que le pouvoir de décision du personnel au sein du Comité de gestion a été délibérément confisqué au fil des années.

Alors même que, à la suite des recommandations d’un groupe de travail, le Directeur général a fait récemment la promesse d’engager des moyens humains, techniques et financiers pour permettre à la caisse de fonctionner comme il se doit, ces améliorations arrivent bien tard et parviennent difficilement à convaincre nos collègues assurés, notamment sur le terrain. Le personnel n’attend pas seulement des promesses, mais aussi des actes, car il y a urgence.

Cette caisse existe depuis de nombreuses années, et le personnel demande que tout soit mis en œuvre pour qu’une amélioration de sa gouvernance et de sa gestion administrative assure sa pérennité et son efficacité, et espère que les décisions que vous avez prises hier soir iront dans une direction positive plutôt que de causer sa perte.

Car, malheureusement, la caisse de santé du personnel n’est pas le seul mal dont souffrent les fonctionnaires aujourd’hui: la situation que vivent nos collègues nouvellement retraités n’est guère plus reluisante. Depuis une année environ, il leur faut attendre en moyenne quatre à six mois pour toucher leur première retraite. Je vous le demande, Mesdames et Messieurs les délégués, qui peut se permettre d’attendre entre quatre et six mois pour toucher sa retraite? La transition vers un nouvel outil informatique, qui est la raison invoquée, ne saurait tout expliquer. Les informations que nous avons reçues des personnels de la Caisse commune des pensions des Nations Unies font état de graves problèmes de gouvernance et de moyens insuffisants pour assurer son bon fonctionnement.

Vous comprendrez que le personnel est très inquiet de cette situation et de toutes ces attaques contre sa protection sociale, qui contribuent jour après jour à démanteler ses droits acquis et lui font porter, au fil des ans, un fardeau financier de plus en plus lourd, tout en interdisant à certains d’en bénéficier dans l’avenir. Les hommes et les femmes que je représente, actifs ou retraités actuels ou futurs, ne se laisseront pas faire, et les actions que nous menons actuellement soit au BIT, soit au sein des fédérations des syndicats et associations de personnel font partie de cette contre-offensive et se poursuivront.

Permettez-moi maintenant de passer à un autre sujet: celui du Tribunal administratif de l’OIT, qui fait l’objet d’un document pour décision.

Le document GB.326/PFA/12/1 a retenu toute l’attention des représentants du personnel. Et celui-ci prend note des explications relatives à l’article II, qui inspirait quelques inquiétudes aux associations et syndicats du personnel des autres organisations. En effet, l’idée même que certains requérants puissent se retrouver en déshérence, à la suite d’une décision du Tribunal de ne plus accepter les plaintes de certaines organisations ne remplissant pas des conditions suffisantes de justice interne, aurait été inquiétante. Si des discussions supplémentaires devaient avoir lieu, le point de vue des associations et syndicats du personnel de toutes les organisations devrait alors à nouveau être entendu.

Concernant la suppression de l’article XII, même si nous comprenons les raisons évoquées, dont l’anachronisme et l’absence d’égalité devant la justice, nous posons toutefois la question fondamentale du double degré de juridiction, un élément essentiel des droits de la défense dans la justice actuelle. Même si les amendements proposés à l’article VI constituent un progrès bienvenu, ils ne répondent que partiellement à cette problématique.

En outre, et pour faire écho à ce que j’ai déjà dit dans mon intervention de novembre 2015 à ce sujet, une révision du règlement du Tribunal contribuerait certainement à la modernisation de cette vénérable institution, révision pour laquelle les associations et syndicats du personnel ont déjà fait un certain nombre de propositions qui sont pour l’instant restées lettre morte. Le Syndicat du personnel de l’OIT se joint aux demandes pressantes de ses pairs des autres organisations pour qu’une grande concertation individuelle et collective, impliquant tous les acteurs, prenne place dans les meilleurs délais.

J’en viens finalement, Mesdames et Messieurs, au document GB.326/PFA/11 qui rend compte de la stratégie 2010-2015 du Département des ressources humaines. C’est un document qui fait le bilan des cinq années passées, et les représentants du personnel ont le devoir de vous exposer leur perspective.

Pour ceux qui s’en souviendront, l’année 2010 avait bien mal commencé! C’était encore le temps où l’administration pensait qu’il suffisait d’offrir le café, au 10e étage de ce bâtiment, à l’ensemble des représentants du personnel venus de toutes les parties du monde pour calmer leurs préoccupations légitimes, événement qui déclencha une mobilisation du personnel du BIT d’une ampleur jamais vue depuis de nombreuses années.

Fort heureusement pour l’Organisation et ses fonctionnaires, beaucoup de changements sont intervenus. Des progrès dans le domaine des relations professionnelles internes ont été accomplis, mais l’incident que constitue l’absence de consultations sur le document GB.326/PFA/4(&Corr.), que nous considérons comme grave, nous incite à revoir notre indice de satisfaction à la baisse et nous encourage à redoubler de vigilance, particulièrement dans la perspective de la future négociation sur la politique contractuelle. Il y a encore des départements au sein de l’organisation qui semblent complètement imperméables, sinon réfractaires, à la culture du dialogue social. Cela doit être corrigé.

Le Département des ressources humaines, en faisant son bilan, passe également un peu vite sur le fait que ces cinq dernières années ont été une période pendant laquelle les réformes se sont succédé à un rythme soutenu à l’intérieur de l’Organisation, mais aussi à l’extérieur dans le cadre imposé par la Commission de la fonction publique internationale. Le personnel a eu bien souvent des interrogations quant à la séquence et à la coordination de ces réformes, mais aussi quant à leur finalité, puisqu’elles n’ont pas répondu, dans leur grande majorité, à ses attentes. Ces réformes sont calquées sur les pratiques du secteur privé et ne sont pas adaptées aux mandats des organisations internationales. De plus, les contraintes économiques font qu’elles s’éloignent de plus en plus des principes constitutionnels fondateurs de ces organisations. La réforme sur l’ensemble des prestations de la Commission de la fonction publique internationale adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, guidée à l’origine par un souci de simplification, s’est transformée, sans surprise, en un exercice de rabotage en bonne et due forme des prestations et des mesures d’incitation à l’embauche et à la mobilité et de ciblage particulièrement injuste de certaines catégories de personnel vulnérables.
Malgré cet avenir qui est loin d’être radieux, les représentants du personnel de l’OIT continueront bien entendu à se battre pour l’amélioration du cadre interne des relations professionnelles afin que celui-ci constitue un exemple pour l’ensemble du système des Nations Unies. Car plus la concertation est présente dans une entreprise, plus la motivation du personnel est grande et plus l’efficacité de l’ensemble du groupe est importante. Il est d’ailleurs intéressant, pour ne pas dire flagrant, de noter dans ce document combien les avancées et les succès sont proportionnels au degré de concertation que le Département des ressources humaines a pu avoir avec le Syndicat. Et cela que ce soit en matière de recrutement et de sélection du personnel ou d’amélioration du cadre de travail, y compris les accords collectifs signés avec les représentants du personnel sur la protection de la maternité et contre le harcèlement, qui ont favorisé un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Par contre, chaque fois que les représentants du personnel n’ont pas été dûment consultés, la situation est tout autre et souvent perfectible. En ce qui concerne le domaine de la gestion et le développement de carrière, l’acquisition et l’élaboration d’outils électroniques d’accompagnement de cette gestion, présentés comme des conditions incontournables d’entrée dans la modernité, sont loin d’avoir fait leurs preuves en raison de l’incompatibilité de ces outils et parce qu’aucune évaluation correcte n’a eu lieu pour juger de leur efficacité. De plus, la persistance d’organes et de pratiques administratives archaïques (du fait de leur absence totale de transparence et de droit à la défense comme le comité des rapports ou le processus opaque de la reconnaissance du mérite), mais aussi de pratiques irrégulières qui favorisent l’inégalité de carrière entre les membres du personnel selon leur situation contractuelle ou leur sexe, contribue à une insatisfaction latente du personnel.

Il en va de même pour tous les programmes de formation, dont la plupart ont été développés unilatéralement et sans concertation aucune avec les représentants du personnel, puisque cela fait plus de cinq ans que le Comité paritaire de la formation ne s’est pas réuni. Les représentants du personnel demandent d’ailleurs inlassablement sa réactivation.

Je me dois également de revenir sur l’exercice de classification des postes sur le terrain, véritable serpent de mer depuis la mobilisation du personnel en 2010 et qui a finalement débuté en 2015. Le personnel ne permettra pas que cet exercice se transforme en exercice de rationalisation déguisée pour nos collègues sur le terrain, rescapés exsangues de trois réformes de structures depuis 2010 et réduits à leur plus simple expression, si bien que certains programmes d’activité ne sont plus à même d’assurer leurs services de base. Le Syndicat du personnel veillera tout particulièrement à ce que les accords en matière d’attributions qu’il a signés avec l’administration soient appliqués à la lettre.

Je pourrais encore commenter chaque chapitre de ce document en détail, mais je vous épargnerai cette litanie pour me consacrer à l’essentiel. Au vu de toutes les réformes et changements subis ces dernières années par le personnel, mais aussi des changements à venir, notamment ceux liés à l’examen des processus administratifs dont la finalité semble bien loin des principes de base promus et défendus par notre Organisation, la vigilance est de mise. Car il ne s’agit pas ici, comme je l’ai entendu hier dans cette enceinte avec un certain effarement, de changer l’ADN du BIT ainsi que sa culture. Tout d’abord, le changement ne se décrète pas, il se conduit ou du moins il s’accompagne. En second lieu, la culture propre au BIT n’est-elle pas justement ce qui est le plus précieux à conserver ? Ne vaudrait-il pas mieux utiliser à bon escient les gènes de notre Organisation que sont le droit à la protection sociale, le droit à un emploi décent et le droit à la justice et au dialogue social afin de bâtir une armature sur laquelle se construirait toute programmation ou stratégie interne future?

En conclusion, et pour rester dans cet esprit de dialogue, je vous demanderai donc Mesdames et Messieurs les délégués, de veiller à ce que les représentants du personnel soient pleinement associés à cette stratégie future des ressources humaines. Car ces représentants sont convaincus que c’est le seul et unique moyen pour que l’OIT soit en mesure d’atteindre sereinement et efficacement ses objectifs, tout en négociant avec son personnel des conditions d’emploi et de travail exemplaires, justes et progressistes, finalement dignes de l’essence et de la finalité de son mandat.

Je vous remercie.