Discours de la Présidente du Syndicat au Conseil d’administration – novembre 2021

Session No. 343, novembre 2021

Madame la Présidente,
Monsieur le Directeur général,

Mesdames et Messieurs les délégué(e)s,

Cher(e)s collègues,

J’ai l’honneur de m’adresser à vous en tant que Présidente élue du Syndicat du personnel de l’OIT, lequel représente deux tiers des membres du personnel au siège et sur le terrain.

Il est en effet de mon devoir de vous faire part des aspirations et des préoccupations du personnel et de recentrer les débats sur l’humain, comme il est désormais coutume de le dire dans ces murs.

Et je dois dire que l’année qui vient de s’écouler a encore été éprouvante à plus d’un titre pour l’ensemble de mes collègues.

Tout d’abord, la pandémie due au COVID-19 continue d’altérer passablement les manières de travailler de l’ensemble du personnel, puisque les différents lieux d’affectation subissent chacun à leur tour des périodes de confinement et de retour dans les bureaux. Celles-ci constituent autant d’obstacles au sentiment d’appartenance à une seule OIT. Cette dichotomie des situations est certes compensée par les efforts faits par l’administration pour inventer de nouvelles formes de communication et travailler conjointement, mais au quotidien, et pour avoir été constamment sollicité, le Syndicat du personnel a pu constater combien l’incertitude face à la fin de cette pandémie a des effets pervers sur la santé mentale de certains de ses membres. Il y a donc nécessité d’être vigilants et de mettre en place, et ce pour le long terme, des outils de soutien psychologique appropriés.

Dans ce registre de gestion de la crise du COVID-19, un autre obstacle de taille rencontré principalement sur le terrain est celui de l’absence de cohérence au sein du système commun des Nations unies s’agissant des mesures concernant par exemple la vaccination, la conservation confidentielle des données médicales ou le retour dans les bureaux.

Cette cacophonie est génératrice de stress supplémentaire pour mes collègues, notamment pour ceux travaillant déjà dans des locaux partagés avec d’autres organisations du système commun.

Puis, à la gestion longue de cette crise du COVID-19 sont venus s’ajouter des évènements politiques, sociaux ou économiques survenus dans des pays où l’OIT est présente. Les situations anxiogènes, traumatiques, vécues par ces collègues notamment en Afghanistan, à Haïti, au Liban, au Myanmar, et plus récemment encore au Soudan, sont à prendre très au sérieux, d’autant plus que le personnel sur place travaillant essentiellement pour la coopération technique est bien souvent plus isolé et donc plus vulnérable. À cet égard, le Syndicat reconnait et apprécie à sa juste valeur les efforts fournis par l’administration, qui a tout mis en œuvre afin garantir la sécurité du personnel concerné et s’est distinguée plutôt favorablement des autres organisations du système commun des Nations Unies. Mais force est de constater que le personnel de l’OIT est de plus en plus exposé aux risques de toutes sortes, au même titre que d’autres organisations à mission traditionnellement plus humanitaire. Il est donc urgent pour l’avenir que des moyens supplémentaires soient alloués et que de nouvelles structures, si possible paritaires, soient créées afin d’assurer une réactivité et une efficacité meilleures pour garantir la sécurité de toutes et tous.

Mesdames et Messieurs, permettez-moi maintenant de vous faire part de la position des représentants du personnel concernant quelques documents présentés lors de cette session du Conseil d’administration.

Notre attention s’est portée en premier lieu sur le document GB/343/PFA/4, que vous venez d’examiner. Étant donné que les représentants du personnel n’ont pas été consultés en amont sur ce dossier, ils vont prendre le droit de le commenter a posteriori. Ils déplorent particulièrement le fait qu’à aucun moment dans ce document, le personnel ne semble valorisé ou considéré comme un élément clé de réussite dans cette stratégie à venir. Ils ont découvert, un peu atterrés, je dois l’avouer, que celui-ci était surtout considéré comme un obstacle, résistant au changement, mal formé, ne comprenant rien aux enjeux des risques de la cybercriminalité et aux exigences d’une sécurité sans cesse accrue. Après les prouesses déployées depuis plus de 18 mois par mes collègues, notamment d’ailleurs par les services informatiques, afin que toutes les tâches de l’Organisation puissent être accomplies avec succès, c’est leur accorder bien peu de crédit. C’est même, à notre avis, leur faire grande offense.

Il est fort louable de répéter à l’envi qu’il faut adopter une approche plus centrée sur l’humain ; encore faut-il pratiquer ce que l’on prêche. Le Syndicat du personnel commence à se lasser d’entendre dans bien des forums que de nouveaux talents et de nouvelles compétences seraient la solution à tous les maux. Est-ce à dire que les talents d’aujourd’hui sont les nuls de demain ? Soyons sérieux, il y a une obligation morale pour l’Organisation de cultiver ses talents et d’avoir la décence et le respect de ne pas les dénigrer une fois recrutés. Tout est affaire d’équilibre entre ces nouveaux talents et personnel expérimenté, tout est affaire de moyens humains et financiers mis aux bons endroits et, surtout, de tact et de reconnaissance. À bon entendeur.

Le Syndicat a également découvert dans ce document un certain nombre de projets futurs ayant des conséquences non négligeables sur les conditions de travail du personnel, que le groupe des travailleurs a d’ailleurs évoqué. Effectivement, je me réfère au paragraphe 29 : la fracture numérique siège – terrain, l’exploitation des ressources existantes, le système intégré de gestion du lieu de travail, les logiciels de traduction assistée par ordinateur et la numérisation des dossiers personnels constituent autant de domaines dans lesquels les représentants du personnel doivent être consultés. Selon eux, une stratégie en matière de technologies de l’information ne se résume pas à combattre la cybercriminalité ou à accroître de manière exponentielle la sécurité informatique. Elle ne se résume pas non plus à développer des outils pour ne se parler que par écrans interposés. C’est aussi peut-être explorer de nouvelles pistes où l’humain trouvera sa place pour pouvoir s’épanouir dans son travail, accomplir ses tâches, se former tout au long de sa vie professionnelle, sur son lieu de travail ou en télétravail, tout en favorisant sa créativité, son initiative et le dialogue avec ses pairs. Ceci, bien entendu, en ayant également le droit à la déconnexion et le droit au maintien de ses libertés individuelles. Le Syndicat du personnel n’a vu aucun de ces enjeux et perspectives dans ce document, et le regrette profondément.

Contrairement au précédent document relatif à la stratégie en matière de ressources humaines, le document GB/343/PFA/14 a fait, heureusement – Dieu merci – , l’objet de toutes les consultations nécessaires avec les représentants du personnel. Cependant, y figurent des postulats avec lesquels le Syndicat est en désaccord de longue date. Ils concernent notamment la définition de la diversité ou le fait qu’il y aurait une absolue nécessité, là encore, d’attirer sans cesse de nouveaux talents sous peine de voir l’OIT non compétitive.

Bien que les règles statutaires existantes encouragent déjà la diversité (à laquelle le syndicat adhère parfaitement), c’est bien souvent dans la mise en œuvre de cette diversité que les problèmes apparaissent, y compris en termes de répartition femmes – hommes, de répartition géographique ou linguistique, en termes d’expérience utile pour les trois groupes de mandants de l’Organisation, d’opportunités offertes aux jeunes ou d’intégration de travailleurs en situation de handicap. Par exemple, bien que l’OIT ait atteint l’égalité entre les femmes et les hommes dans les grades intermédiaires, elle ne dispose toujours pas d’une direction diversifiée. C’est ici un facteur important de mécontentement de mes collègues. De même, le principe de représentation géographique en fonction des contributions financières fausse depuis des années le calcul de la véritable diversité au sein de l’Organisation. En outre, certaines pratiques de recrutement contraires aux règles statutaires constituent aussi un frein à une meilleure diversité. Ainsi, sous prétexte que l’excellence ne devrait se mesurer qu’à l’aune de diplômes les plus élevés et prestigieux, des candidats issus du monde de l’entreprise ou du monde syndical ont rarement la possibilité de faire valoir leurs compétences, alors que ceux-ci devraient avoir tout autant leur place aux cotés des meilleurs spécialistes diplômés. Là encore, tout est affaire d’équilibre, mais aussi de courage pour l’OIT, de par sa structure unique au sein du système commun des Nations unies – le courage d’assumer de se doter d’outils et de procédures de recrutement en adéquation avec ses réels besoins.

Le Syndicat du personnel a aussi bien des difficultés avec l’assertion présente en filigrane dans cette stratégie, selon laquelle il y aurait apparemment urgence à attitrer sans cesse de nouveaux talents sous peine de voir l’OIT non compétitive et d’être de ce fait dans l’impossibilité d’achever ses objectifs. Mais alors je vous le demande une fois de plus, que fait-on du personnel existant? En outre, que fait-on des fonctionnaires recrutés constamment à la coopération technique, et qui acquièrent au fil de leur renouvellement de contrat d’année en année une très bonne connaissance de l’Organisation, mais qui pour intégrer l’Organisation de manière plus pérenne semblent rencontrer des obstacles de plus en plus insurmontables alors qu’ils travaillent déjà et désormais sur plus de 50% des activités de l’OIT, sans en avoir toujours les bénéfices et la reconnaissance?

Le Syndicat du personnel de l’OIT est convaincu qu’il y a bien sûr nécessité en fonction des nouveaux programmes d’attirer raisonnablement de nouveaux talents.  Mais il y a surtout devoir impérieux pour l’Organisation d’investir, de capitaliser, de développer les compétences existantes, sous peine de se retrouver avec un personnel rapidement complètement démotivé et en mal de reconnaissance. La dernière enquête de satisfaction réalisée auprès du personnel confirme d’ailleurs que des efforts encore substantiels restent à faire dans ce domaine. Un des résultats les plus marquants de cette enquête est que la plupart des fonctionnaires ont souligné un manque de motivation et de reconnaissance. De nombreux membres du personnel, toutes catégories confondues, ne voient guère de possibilité de suivre un parcours de carrière approprié ou linéaire lié à l’expérience ou à leurs capacités. L’autre fait marquant de ces résultats est que le fonctionnaire, s’il est une femme ou un collègue dans une situation de handicap, a un degré de satisfaction au travail significativement moindre que l’ensemble de ses collègues. La fonction publique internationale n’est pas une entreprise de travail temporaire, c’est un corps de fonctionnaires qui, pour avoir un sentiment d’appartenance à la culture et aux valeurs de l’organisation qui les emploie, ont besoin non seulement de stabilité contractuelle pour accomplir leurs missions en toute indépendance et intégrité dans un contexte international de plus en plus risqué, mais aussi d’un plan de carrière bien défini, d’accompagnement, de formation, d’encouragement et de reconnaissance , ceci dans un milieu de travail bienveillant et également propice à l’équilibre vie privée-vie professionnelle.

A cet égard, je ne voudrais pas terminer ces commentaires sur ce document sans vous faire part de la grande frustration ressentie par l’ensemble du personnel à l’égard de la lenteur avec laquelle l’administration gère le dossier de révision des heures flexibles de travail, cela malgré des promesses de négociations dans le courant de cette année. Pourtant, depuis le début de la pandémie, il a été suffisamment démontré qu’une flexibilité accrue des heures de travail et le recours massif au télétravail n’avaient altéré en rien la qualité des services et du travail réalisé. Ces nouvelles formes de travail ont d’ailleurs plutôt contribué à fluidifier les tâches, à autonomiser et à responsabiliser le personnel et à développer une nouvelle culture du travail basée sur la confiance. Il est donc plus que temps d’actualiser les politiques existantes dans ce domaine si on ne veut pas, pour le coup, passer pour une organisation frileuse et passéiste au sein du système des Nations unies, mais il faut le faire dans le respect, toujours bien compris, de l’intérêt du personnel.

Le dernier sujet que je souhaite aborder aujourd’hui devant vous bien qu’aucun document ne s’y réfère concrètement est celui, jamais inintéressant, des activités de la Commission de la fonction publique internationale. 2021 est l’année de lancement de la nouvelle enquête du coût de la vie destinée à réviser l’ajustement de poste des salaires du personnel international. Dans les différents lieux d’affectation et notamment à Genève, les représentants du personnel et leur fédération ont commencé à participer de bonne foi aux travaux de préparation, mais demeurent extrêmement vigilants quant à la suite du processus, car les problèmes de fonds qui ont mené au conflit de 2016-2018 demeurent, et il n’est donc pas impossible que le système commun se retrouve dans la même impasse qu’il y a quatre ans. On ne résout jamais un problème de gouvernance à coup de nouvelles enquêtes salariales plus ou moins bancales. Le syndicat du personnel le répète une fois de plus: la résolution de ce conflit ne peut être achevée que par une réforme des statuts de la CFPI.

J’en arrive finalement au terme de mon intervention et vous remercie pour votre patience. Permettez-moi, cependant et exceptionnellement Madame la Présidente, quelques mots supplémentaires. Très peu de fonctionnaires du BIT ont le privilège de s’adresser à ce Conseil d’administration, et encore moins l’occasion de partager les points de vue, les préoccupations et les aspirations du personnel. J’ai eu l’honneur de le faire à 15 reprises, y compris aujourd’hui, et c’est une responsabilité que je n’ai jamais prise à la légère, au nom des femmes et des hommes qui m’ont élue. Je voudrais encore une fois réaffirmer combien cette organisation a la chance d’avoir un personnel aussi compétent et engagé sur qui elle peut compter dans toutes les circonstances. Si je n’avais qu’un souhait pour cette dernière intervention, c’est que le Conseil d’administration en tienne toujours compte lors de ses orientations et décisions futures.

Je vous remercie de votre attention.