Discours de la Présidente du Syndicat au conseil d’administration de l’OIT, PFA, 1 novembre 2016

Conseil d’administration de l’OIT, PFA, 1er novembre 2016
Discours de la Présidente du Syndicat du personnel
Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Chers collègues,

J’ai l’honneur de m’adresser à vous au nom du personnel de l’OIT en tant que Présidente de son Syndicat, fort d’un taux d’adhésion de 70% d’affiliés. La pratique veut, depuis de longues années, que le représentant du personnel vous fasse part, au gré des sessions et des documents présentés, de sa position, pour autant bien sûr, que ces documents aient des conséquences sur les conditions d’emploi et de travail du personnel de l’Organisation. C’est aussi toujours une bonne occasion, pour vous, Chers membres du Conseil d’administration, de juger de l’état du dialogue social interne.
Le cadre des relations professionnelles

En parlant de dialogue social et puisque cette session est un peu particulière car elle constitue le point d’orgue de quatre années de gestion d’une nouvelle direction générale, le Syndicat souhaiterait y revenir brièvement.

Vous n’êtes pas sans savoir qu’en 2012 l’état des relations professionnelles internes n’était pas brillant et ne faisait en tous cas guère honneur à l’institution. C’est bien simple, on ne se parlait plus. Avec l’arrivée du Directeur général actuel, Monsieur Guy Ryder, l’administration et les représentants syndicaux ont œuvré lentement mais sûrement pour renouer un à un les fils du tissu du dialogue social. Les quatre années qui viennent de s’écouler ont représenté des heures de rounds d’observation, de discussions, de tractations, de moments calmes mais aussi parfois relativement agités. Mais au moins, depuis cette date, le dialogue a toujours été présent et nous ne pouvons que le saluer du côté du Syndicat.

Le fait également que plusieurs accords collectifs aient été signés pendant cette période montre les bienfaits de la négociation collective qui garantit une certaine paix sociale, cela même au sein d’une organisation internationale où il est parfois difficile de définir quels sont les véritables interlocuteurs des représentants du personnel. Ces derniers espèrent en tous cas fortement, qu’en cette période de nouvelle nomination à la tête des Nations Unies, l’OIT sera prise comme un exemple en matière de relations professionnelles, et qu’au côté du personnel, ses mandants et son Directeur général useront de tout leur talent de persuasion pour que cette négociation collective devienne une réalité dans tout le système des Nations Unies. C’est dans l’intérêt de tous.

Car, même au sein du BIT, coutumier du tripartisme, l’étoffe du dialogue social est fragile et nécessite toujours, tel le pêcheur avec son filet, une attention soutenue afin que les mailles ne se détendent pas trop facilement.

C’est dans ce but que le Syndicat et l’Administration ont encore fait un pas de plus cette année pour renforcer ce cadre des relations professionnelles, en améliorant notamment le fonctionnement du Comité de négociation paritaire par la nomination d’un président indépendant. Les représentants du personnel espèrent que cette décision conjointe contribuera à garantir l’équilibre des positions, améliorer de façon tangible l’accès pour le Syndicat à l’information nécessaire aux négociations et à contribuer à des débats plus sereins.

Car bien entendu, les défis à venir sont de taille pour l’OIT et son personnel. Je vais donc maintenant vous faire part des préoccupations actuelles de celui-ci, relatives aux différents documents qui ont été soumis à votre attention et pour votre approbation lors de cette session.
Mise en œuvre des décisions de l’AG des Nations unies relatives à l’ensemble des prestations (Document GB /328/PFA/9)

Comme vous le savez, une partie des conditions d’emploi des fonctionnaires du BIT sont régies par ce qu’on appelle le système commun des Nations Unies. La réforme proposée par la Commission de la Fonction publique internationale (CFPI) s’appliquant à l’ensemble des prestations du personnel (« compensation package ») n’a pas été accueillie favorablement par le personnel des Nations Unies et a fait l’objet de nombreuses discussions depuis trois ans entre la Commission et les fédérations internationales de personnel. Rappelons que le but de cette réforme était normalement de simplifier un système jugé trop complexe. Cette réforme a donc été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, en décembre dernier contre l’avis des personnels dans son ensemble. Comme ces derniers l’avaient prévu, elle n’a pas atteint ses objectifs initiaux puisque la mise en œuvre de la réforme est d’une complexité chronophage, elle ne fera réaliser que très peu d’économies, et va même à l’encontre de certaines autres recommandations données par les Etats membres. La seule conséquence est pour l’instant, que cette réforme réduit à long terme de façon significative les conditions d’emploi de ce personnel, que ce soit en termes de salaires et d’évolution de carrière ou de réduction des mesures incitatives à la mobilité du personnel, notamment dans les lieux d’affectation à haut risque. Le personnel du BIT est d’autant plus choqué de l’acceptation de ces mesures par les Etats membres que ce sont les mêmes qui demandent d’encourager le recrutement à un haut niveau de compétences et d’encourager la mobilité sur le terrain. Si les Nations unies voulaient réellement attirer un personnel hautement qualifié, notamment parmi les jeunes, la solution n’était certainement pas de diminuer les conditions et prestations de cette attractivité, nécessaires à un travail efficace sur le terrain.

Les représentants du personnel du BIT sont encore plus déçus de la manière dont se sont passées les discussions sur les propositions d’amendement à ses propres statuts. En effet, le caractère autonome de ceux-ci et les négociations dont ils ont fait l’objet antérieurement ainsi que la signature récente de l’Accord collectif visant principalement à encourager une mobilité sur le terrain pouvaient laisser entrevoir des mesures transitoires atténuant l’effet démoralisant sur le personnel de ce « compensation package ». Mais l’Administration n’a pas jugé bon d’une part de prendre en compte les demandes du personnel sur ce sujet, et d’autre part elle a évité soigneusement de mettre sur la table concomitamment d’autres décisions de l’AG des Nations Unies, notamment celle de l’introduction de l’âge de la retraite à 65 ans.

Pour résumer: le personnel n’est pas d’accord avec ces amendements aux statuts car ils n’aideront pas à recruter du personnel hautement qualifié, ils réduisent à long terme les perspectives de carrière du personnel et ses conditions d’emploi et vont surtout à l’encontre de tous les efforts dernièrement fournis au sein de l’Organisation, sous l’autorité du Conseil d’Administration, pour encourager une meilleure mobilité vers le terrain.

Le personnel, en action commune avec les fédérations d’association et syndicats de personnel des Nations Unies, a d’ailleurs entrepris une étude juridique sur le bien-fondé des décisions adoptées par l’AG et sur l’impact sur les droits acquis des fonctionnaires. Il se réserve également le droit d’intenter toute action à sa disposition, notamment légale, dès l’entrée en vigueur de ces mesures.
Documents sur le plan stratégique 2018-2021 et les propositions de programme et budget 2018-2019 (Documents PFA/328/1, PFA/328/2)

Les représentants du personnel ont lu consciencieusement ces documents et ont plusieurs remarques à porter à l’attention du Conseil d’administration, même si la discussion sur ce document a déjà eu lieu hier. Cela devient décidément une habitude de ne permettre au représentant du personnel de s’exprimer qu’une fois les discussions closes.

Ils ont bien noté, dans le paragraphe 65, la volonté de l’OIT d’être « une seule OIT » et ne peut que se féliciter que le slogan, dont la parentalité revient au Syndicat, soit repris à son compte par l’Administration. Mais ceci ne doit pas être qu’un vœu pieux sur une feuille de papier. La réalité vécue notamment par plus de 40% du personnel de l’Organisation qui travaille pour des projets de coopération au développement, dans des conditions de précarité qui ne leur permettent pas d’accomplir correctement leur travail ni d’envisager un équilibre décent entre vie professionnelle et vie privée. L’exemple tout récent de la décision des Etats membres de réduire drastiquement les allocations budgétaires destinées aux activités concernant le VIH SIDA se concrétise, dans la vraie vie et non sur le papier, par une réduction de postes et perte d’emploi pour des hommes et des femmes qui, pour certains, ont donné plus de 10 ans de leur vie professionnelle à l’Organisation. Des collègues auxquels on dit, sans état d’âme, que puisqu’ils font de la coopération au développement, ils ne font pas vraiment partie de la maison et n’ont pas vocation à faire carrière. Ces derniers ont vraiment l’amer sentiment de n’être que des travailleurs de seconde zone au sein de l’Organisation, n’ayant des renouvellements de contrats que de mois en mois pour certains, dûs bien souvent à une absence de planification générale ou à un trop grand morcellement des fonds dédiés à la coopération au développement.

Les représentants du personnel ont également bien noté dans ce même paragraphe 65, la soi-disant artificialité du cloisonnement des activités en fonction de la provenance des fonds et les propositions pour y remédier. Le Syndicat du personnel met en garde contre toute velléité de diluer par ce biais, les activités permanentes et fondamentales de l’Organisation, telles que pourraient l’être par exemple les activités normatives ou la politique de lutte contre le chômage ou tout autre activité faisant partie des activités essentielles de l’Organisation, ceci afin de les assimiler à de simples missions temporaires appelées à disparaître au gré des priorités ou de décisions ne passant pas par le filtre protecteur du Conseil d’administration. C’est une question fondamentale de gouvernance qui aurait des répercussions immédiates sur la structure contractuelle, notamment en ce qui concerne les postes liés au budget régulier de l’Organisation. Il est absolument essentiel pour le personnel travaillant pour une organisation internationale et à fortiori à l’OIT, d’être au bénéfice d’un contrat pérenne afin de pouvoir accomplir son travail en toute sécurité et surtout en toute indépendance. C’est l’essence même de la fonction publique internationale. C’est ce qui fait sa force, ce qui lui permet de garder la tête froide et d’utiliser au mieux ses compétences au fil des crises successives, politiques ou économiques, survenant dans tous les pays où elle doit intervenir.

Enfin, les représentants ont encore bien noté les paragraphes 67 et 68 du même document et ont découvert pour la première fois les propositions liées à la revue des processus administratifs par l’Administration de transférer au moins 60 postes qui relèvent du domaine administratif vers celui des activités techniques et analytiques. Il est toujours regrettable pour les représentants du personnel de découvrir ce genre de proposition qui a inévitablement des conséquences importantes sur le personnel et qui était totalement absente des discussions dans les instances où le Syndicat était présent pour discuter précisément de ce sujet. Le Syndicat du personnel a certes bien pris note dans les discussions d’hier sur ce document qu’il s’agira d’un transfert de fonctions. Il faudra alors qu’on explique de manière très claire aux actuels titulaires des postes administratifs (qui ne sont pas tous en âge de partir à la retraite) comment ils vont soudain se transformer en spécialistes du travail des enfants ou en chercheurs en économie du travail. Il faudra peut-être aussi songer sérieusement avec tout ce travail de reprofilage des fonctions à l’horizon à augmenter considérablement les fonds dédiés au Département des ressources humaines afin de l’aider dans cet exercice de haute voltige.

Pour résumer, cette proposition au paragraphe 68, ne devrait pas figurer dans ce document puisqu’elle n’a pour l’instant jamais été l’objet de concertation en bonne et due forme. En effet, elle doit en premier lieu passer par une discussion de fond avec les représentants du personnel puisqu’elle a des conséquences sur les conditions d’emploi et de travail des fonctionnaires.

Mesdames et Messieurs les délégués, comme vous pouvez le constater, ce n’est pas parce que l’OIT a les outils nécessaires en matière de relations professionnelles, que l’ouvrage est plus simple.

Les différentes préoccupations soulevées devant vous ont bien entendu été également formulées devant l’Administration dans le cadre des négociations en cours, notamment celle sur la réforme de la politique contractuelle et la mise en œuvre de la décision de l’Assemblée générale d’introduire l’âge obligatoire de la retraite à 65 ans dès 2018. Nous avons naturellement bon espoir que toutes ces négociations aboutissent à une situation dans laquelle l’Organisation pourra être à la fois fière de pouvoir se tourner vers l’avenir en se dotant de tous les moyens modernes et de toutes les compétences adéquates mais aussi fière de pouvoir prendre soin de son personnel, en le valorisant, en le protégeant et en lui accordant toute sa confiance pour mener à bien les objectifs qu’elle s’est fixés, à la hauteur des valeurs et principes fondamentaux qu’elle défend et promeut depuis bientôt plus d’un siècle.
Je vous remercie.