Bulletin No. 1507 – Discours de la présidente du Syndicat du personnel à la Section du programme, du budget et de l’administration du Conseil d’administration (325e session – 2 novembre 2015)

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’administration,
Cher(e)s collègues ici présents,

J’ai l’honneur et à nouveau le plaisir de m’adresser à vous aujourd’hui, en qualité de présidente du Syndicat de l’OIT, représentant 70 pour cent du personnel travaillant au siège et sur le terrain.

Le but de mon intervention est, comme d’habitude, de vous faire part des points de vue ou des préoccupations du personnel de l’OIT relatives aux décisions que vous, membres du Conseil, serez amenés à prendre présentement ou dans d’autres forums.

En ce mois de novembre 2015, plusieurs soucis occupent l’esprit du personnel de l’OIT.

Le document relatif à la charge de travail et à l’efficacité du Tribunal administratif de l’OIT (GB.325/PFA/9/1 (Rev.) a d’abord retenu toute notre attention. Le Syndicat du personnel a été consulté, au même titre que les autres associations et syndicats de personnel en amont de la présentation de ce document; il remercie le bureau du Conseiller juridique pour cette démarche s’inscrivant dans un contexte sain de concertation. Le Syndicat du personnel souhaite tout d’abord rappeler que cette institution est une garantie essentielle pour les employés de l’OIT, puisque leur lieu de travail jouit de l’immunité de juridiction et qu’ils ne peuvent saisir les tribunaux nationaux en cas de différends liés à leurs conditions d’emploi et de travail. En effet, pour un membre du personnel confronté à un sentiment d’injustice, d’inégalité de traitement, peut-être harcelé, ayant épuisé toutes les voies de recours internes à sa disposition dans son organisation, il importe de pouvoir se tourner vers une instance juridique dont l’efficacité et la qualité de jugement lui permettront d’être convaincu que son affaire, son problème professionnel, a fait l’objet d’une grande attention, et qu’un jugement sera rendu en toute objectivité par des personnes dont l’autorité en matière de droit du travail n’est pas contestée. Ce qui importe au personnel du BIT, c’est que ce tribunal puisse aujourd’hui maintenir cette qualité de jugement qui a largement contribué à sa renommée et améliorer demain ses services, dans un contexte de croissance exponentielle du nombre d’appels. En outre, dans la perspective de possibles améliorations, la stabilité d’emploi du personnel travaillant au sein du tribunal en tant que condition essentielle de l’indépendance de toute institution judiciaire, ainsi que la possibilité pour les requérants d’ester collectivement en justice sont, pour le Syndicat du personnel de l’OIT, des priorités majeures.

Il ne m’appartient pas aujourd’hui de commenter ni d’analyser le détail de la situation actuelle du tribunal mais, néanmoins, un constat général place la question du dialogue social et de la négociation collective au sein des organisations internationales au cœur même de la problématique. Si, dans certaines organisations, le dialogue social est absent, si la concertation et la négociation collective ne sont pas de mise, si les voix des personnels ne sont pas entendues dans des cadres formels de relations professionnelles, alors ces personnels n’auront d’autre recours que de faire valoir leurs droits par la loi, et parfois de manière massive.

En ce qui concerne le Syndicat du personnel de l’OIT, je le répète, il sera bien entendu prêt à discuter le moment venu toutes propositions d’améliorations futures qui contribueraient non seulement à maintenir la qualité de jugement et l’indépendance de ce tribunal, mais aussi d’explorer toutes solutions pouvant lui assurer efficacité et pérennité.

Permettez-moi maintenant de vous rendre compte, du point de vue du personnel, de l’état des relations professionnelles au sein de l’Organisation depuis mon intervention du mois de mars à travers quelques dossiers significatifs.

Vous avez pu prendre connaissance, dans le document GB.325/INS/15/1, du point sur la réforme interne, notamment en ce qui concerne l’état d’avancement de l’examen des processus administratifs avec l’assistance de consultants extérieurs et l’examen de la structure et des opérations sur le terrain. Quand j’ai lu le document, et si je n’avais pas été représentante du personnel dans cette Organisation, je me serais réjouie de voir combien toutes ces étapes semblent avoir été franchies avec une facilité déconcertante, en toute transparence et dans une atmosphère de concertation atteignant de manière insolente un niveau de dialogue social idéal.

Les représentants du personnel notent certes avec satisfaction qu’effectivement l’exercice presque quotidien du dialogue social offre des issues favorables à la satisfaction des deux parties. Ce fut le cas sur certains dossiers, comme le transfert du bureau régional à Abidjan, la restructuration de certains départements et programmes de coopération technique, la résolution de conflits individuels, la conduite de la rénovation et l’amélioration de la sécurité dans le bâtiment, ainsi que la création de groupes de travail pour l’amélioration de notre Caisse de santé.

Restent cependant des lacunes fondamentales dans le cadre institutionnel des relations professionnelles, qui ne permettent pas aux représentants du personnel d’adhérer à l’autosatisfaction affichée dans ce document.

En effet, la réforme n’a pas été une partie de plaisir pour le personnel, car celui-ci a cette douloureuse impression qu’il est désormais en état de réforme permanente et que certaines décisions venues se greffer là-dessus sont bien moins anodines que ne l’a laissé penser la direction lors de leur présentation initiale. J’en veux pour preuve l’examen des processus administratifs qui, sous couvert d’annonce d’une simplification administrative, se dévoile actuellement comme une importante réforme organisationnelle qui aura certainement des implications beaucoup plus importantes en matière de gouvernance et aura inévitablement des conséquences pour le personnel.

Je vous avais déjà mentionné, dans mon allocution de mars 2015, l’absolue nécessité de consulter en amont les représentants du personnel afin que cet exercice, pour avoir une chance de réussir, ne retombe pas dans des écueils précédents. J’étais optimiste et avais naïvement le sentiment d’avoir été entendue. Hélas, les premiers mois ont été chaotiques en termes de dialogue social: pas de consultation formelle initiale en amont avec les représentants pour discuter des principales étapes envisagées, des finalités, du modus operandi et des éventuelles conséquences de cet exercice pour le personnel. En outre, le recours à des consultants extérieurs, un cabinet de triste réputation surtout connu pour recommander des plans sociaux aux grandes entreprises, a généré une politique de communication assez éloignée, pour ne pas dire carrément aux antipodes, de la terminologie traditionnellement employée dans notre Organisation. Il semblerait cependant qu’un changement d’attitude très récent de la part de l’administration, suite à plusieurs actions ponctuelles du Syndicat d’ailleurs, fasse espérer des jours meilleurs en matière de communication. C’est le genre de consultation que les membres du personnel ne prendront jamais à la légère, car c’est de leurs fonctions qu’il s’agit et ce sont eux les mieux à même d’en débattre pour les améliorer.

Je dois vous confier que l’examen de la structure sur le terrain, toujours dans ce même rapport, n’a pas été non plus un modèle de concertation avec le personnel. Il s’agira, maintenant que cette revue est plus ou moins actée, que les représentants du personnel, une fois encore, soient bien impliqués dans les phases finales de son implantation au préalable et non pas a posteriori. L’exercice de classification des postes qui a lieu en ce moment sur le terrain fait partie de cette phase finale et fait déjà l’objet de beaucoup de questionnements de la part de nos collègues. Ceux-ci demandent que ce processus demeure conforme à leurs revendications initiales de 2010, lors de la mobilisation du personnel, et qu’il reste fidèle à l’accord signé entre l’administration et le Syndicat du personnel.

Au vu des événements qui se sont passés cette année, le Syndicat constate que le dialogue social n’est pas un fait complètement acquis et que des progrès significatifs doivent être encore accomplis, notamment dans le cadre formel de ce dialogue, mais aussi à propos du respect des accords passés, de la nécessité de la concertation et de l’accès égal à l’information nécessaire aux négociation futures. C’est une urgence si l’on ne veut pas faire perdre inutilement du temps à l’Organisation. La haute direction, dans son dernier message au personnel, a vanté les mérites du dialogue social pour saluer les différents prix Nobel attribués ces deux dernières années. Le Syndicat du personnel lui répond qu’il est également essentiel de pratiquer de manière plus constante et cohérente à l’intérieur ce que nous sommes fiers d’apporter à l’extérieur. En fait, les deux parties ont une responsabilité et une opportunité historiques de démontrer au monde que toute réforme est possible à travers le dialogue social et non pas au dépens de celui-ci. Le Syndicat, qui vient d’ailleurs de réunir il y a deux semaines tous ses représentants dans le cadre d’une réunion mondiale, a réaffirmé sa vision pour conduire le processus de transformation de l’OIT en un meilleur lieu de travail, en représentant l’ensemble du personnel comme un partenaire égal et fort dans le dialogue social. Il est donc prêt à remplir sa part du contrat.

Avant d’aborder la question plus globale des conditions d’emploi de la fonction publique internationale, je voudrais à nouveau faire référence à la notion d’une seule OIT et à l’intégration effective de l’action du Centre de Turin dans les stratégies élargies de l’OIT. Le Syndicat du personnel s’associe, une fois de plus et conjointement, aux demandes du Syndicat du personnel du Centre de formation de Turin, pour que les personnels des deux organisations puissent être reconnus indifféremment dans le cadre de leur développement de carrière comprenant recrutement, promotion et titularisation. Ce serait un signal fort et encourageant.

J’en viens maintenant au sujet de préoccupation majeur auquel doit faire face le personnel de cette Organisation tout comme l’ensemble de leurs collègues des autres organisations du système des Nations Unies.

Vous n’êtes probablement pas sans savoir qu’un examen de l’ensemble de la rémunération de la fonction publique internationale a lieu depuis deux ans au sein de la Commission de la fonction publique internationale (CFPI) à la demande de la cinquième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette dernière doit se prononcer très prochainement sur les recommandations de la CFPI, qui ont d’ores et déjà des répercussions très négatives sur l’ensemble du personnel concerné.

En effet, Mesdames et Messieurs les délégués, sous couvert d’une simplification de la structure de la rémunération, les propositions, finalisées au cours de cet été, s’avèrent finalement toxiques à plus d’un titre pour les organisations et le personnel qu’elles emploient et se traduisent au final par une baisse de la rémunération qui touche en plus de manière fort inégalitaire les différentes catégories de personnel.

Après plus de deux ans de discussions avec les administrations de ces organisations et les représentants des fédérations internationales représentant l’ensemble des fonctionnaires internationaux,

Après avoir fortement incité toutes les organisations spécialisées et à forte représentation sur le terrain à promouvoir de manière drastique la mobilité du personnel,

Après avoir mis en place des mesures incitatives pour attirer les jeunes travailleurs à travailler dans l’humanitaire,

La CFPI propose une baisse de rémunération et de niveau de prestations équivalente à 10 pour cent.

L’ensemble des propositions impactent en premier lieu nos collègues désirant travailler dans des lieux d’affectation difficiles, les familles monoparentales, donc implicitement les femmes, et ciblent clairement le personnel jeune, ayant des responsabilités familiales.

Le plus choquant est qu’une des propositions consiste par contre à augmenter de 6 pour cent les salaires de la catégorie des directeurs basés principalement dans les villes sièges.

Toutes ces mesures ont provoqué la colère de l’ensemble des personnels des Nations Unies et généré une campagne sans précédent, dont le point d’orgue aura lieu à New York ces prochaines semaines. Déjà plus de 10 000 fonctionnaires ont signé une pétition que les fédérations remettront en mains propres au Secrétaire général de l’ONU; ils sont déterminés à défendre leurs conditions d’emploi telles qu’elles ont été définies légitimement à la création des Nations Unies.

Si les pays contributeurs dont vous faites partie, Mesdames et Messieurs les délégués, sont pour la plupart conscients des défis auxquels sont confrontées l’ONU et ses institutions spécialisées, celles-ci ont alors le devoir d’investir dans leur atout le plus précieux: les hommes et les femmes qui y travaillent. Car effectivement, aux quatre coins du monde, elles ont besoin d’un personnel engagé, doté des meilleures compétences, qu’elles se doivent de pouvoir attirer lorsqu’il est jeune et de conserver une fois plus expérimenté, avec une rémunération, un ensemble de prestations et une sécurité d’emploi à la hauteur de ses qualifications et en respectant les principes qu’elles ont forgés à leur création, pour accomplir, ne l’oublions pas, parfois au péril de leur vie, les objectifs que ces pays contributeurs leur assignent lors de la tenue de leurs conseils d’administration.

Porter atteinte au personnel de l’Organisation des Nations unies n’est certainement pas une bonne façon de fêter dignement ses 70 ans, qui ont eu lieu la semaine passée.

Cet anniversaire devrait être, au contraire, une occasion de saluer, de reconnaître tout le travail accompli par le personnel, depuis la création de cette noble institution de gouvernance mondiale, et de le doter pour l’avenir de mesures incitatives et motivantes lui permettant d’accomplir au mieux ses objectifs.

Je vous remercie pour votre attention.